Père Raymond Gonnet : le dialogue islamo-chrétien vécu au quotidien en Algérie
06/04/2013
Le père Raymond Gonnet, spiritain, vit à Mascara en Algérie depuis plus de vingt ans. La communauté chrétienne de Mascara est modeste : Raymond, quelques étudiants d’Afrique noire, et Annie, laïque. Cette petite paroisse, qui a fêté le vingt-cinquième anniversaire de la rencontre d’Assise avec des Subsahariens chrétiens et des musulmans, a aussi un centre de services (promotion féminine, soutien scolaire et bibliothèque) que fréquentent de nombreux Algériens. Le père Raymond nous parle de son expérience du dialogue islamo-chrétien.
Le père Raymond Gonnet, spiritain, vit à Mascara en Algérie depuis plus de vingt ans. La communauté chrétienne de Mascara est modeste : Raymond, quelques étudiants d’Afrique noire, et Annie, laïque. Cette petite paroisse a aussi un centre de services (promotion féminine, soutien scolaire et bibliothèque) que fréquentent de nombreux Algériens. Le père Raymond nous parle de son expérience du dialogue islamo-chrétien.
À Mascara, tu as célébré le vingt-cinquième anniversaire de la rencontre d’Assise. Comment cela s’est-il passé ?
Très simplement. Nous avons profité du passage de Christophe Roucou (le directeur du Service des Relations avec l’Islam, de l’Église de France) en Oranie. Je l’ai fait venir à Mascara, et j’ai invité un groupe d’amis algériens. Il y avait Annie qui travaille avec moi, et des étudiants subsahariens chrétiens. On s’est retrouvés pour un temps d’échange et de prière. Les Algériens ont découvert l’existence de ces Subsahariens chrétiens et les étudiants, le message de fraternité que portent ces musulmans.
Qui sont ces Algériens que tu avais invités ?
Je les connais depuis une quinzaine d’années. Ce sont des hommes qui se rassemblaient autour de Hadj Ben Ali, décédé en 1999, qui était pour eux un maître spirituel. Ce monsieur, durant les années noires, vers 1994-1995, cherchait à rencontrer des chrétiens. C’était la période où des religieux et religieuses avaient été assassinés. Un de ses amis lui avait parlé de moi, et un jour, il est donc venu me voir. Il se déplaçait en fauteuil roulant. Il m’a dit : « Je suis heureux de rencontrer des chrétiens. » « Je suis venu vous dire que s’il y a des musulmans qui vous tuent, il y en a d’autres qui vous aiment. » Son histoire et son message pourraient se résumer ainsi : « Autrefois, j’avais tout : un commerce florissant, maison, famille, santé, mais j’oubliais l’essentiel. Alors, Dieu a commencé à m’éduquer : j‘ai eu du diabète, on m’a coupé une jambe, puis deux… maintenant, je n’ai plus rien, mais n’ai besoin de rien. Dieu seul me suffit et II me demande de rappeler que tous les hommes sont égaux et frères, que personne ne doit rester dans le besoin. Je dis aux responsables religieux qu’ils ne doivent pas se taire devant l’injustice et la violence. Je n’ai peur de personne car je n’ai plus rien à perdre. Je suis heureux de venir dans cette maison de Dieu. Il faut nous rencontrer. Quand on est ensemble, Dieu est avec nous. »
Par la suite, il venait souvent rencontrer notre petite communauté, avec quelques disciples. On priait ensemble. Un jour il a prononcé la chahada : « Il n’y a de Dieu que Dieu… », puis s’est arrêté. Tous furent étonnés. Il a alors expliqué qu’il avait fait un songe : « J’ai vu la tristesse des chrétiens quand je dis : « Mohammed est son prophète ». Je préfère donc, lorsqu’on est ensemble, que chacun complète la profession de foi selon sa propre foi. C’est inutile de faire de la peine à l’autre, quand on est ensemble. » Cet homme était un commerçant en légumes, pas un intellectuel. Il citait très peu le Coran, les hadiths, mais il avait une intuition et un message à délivrer à propos de l’unité des croyants.
Cet homme avait donc des disciples ?
À l’époque, une quinzaine d’hommes (des cadres de l’administration, des enseignants) l’entouraient et buvaient ses paroles. Je me souviens les avoir rencontrés autour de son lit à l’hôpital. Il leur disait : « Le Père Raymond, c’est un frère pour nous, pas seulement un frère en humanité, mais un frère en Dieu. Il faut le respecter dans sa foi, et ne pas chercher à le convertir. » Ce groupe a continué à se retrouver après sa mort. Nous les retrouvions pour les fêtes, en particulier la fête du Mouloud et celle du 26e jour du Ramadan. Cela continue jusqu’à aujourd’hui.
Des rencontres fraternelles, donc… Comment se vivent-elles ?
On commence par un chant religieux suivi d’un prêche, fait par le responsable du groupe, puis on me demande un message spirituel. Ils chantent à nouveau, puis chaque participant est invité à faire une prière d’intercession ou de louange. Ils aiment nous entendre prier le ‘’Notre Père‘’. Pour la rencontre que nous avons à la fin du Ramadan, j’ai pris l’habitude de leur remettre le message que le président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux adresse aux musulmans du monde entier. Je distribue à chacun la version arabe, puis on le lit ensemble, et on le discute. Maintenant, chaque année, ils attendent que j’apporte ce message.
Avec eux, j’ai été amené à prier tout à fait naturellement, chacun le faisant selon sa voie. Quand je prie seul, je porte tous les habitants de Mascara dans ma prière. Ils veulent que je prie pour eux. Mais je leur demande aussi de prier pour moi. Nous devons intégrer que Dieu peut exaucer la prière des autres croyants. Nous n’entrons pas dans des discussions théologiques. On vit un vrai partage d’expériences de foi. Ainsi, l’un d’eux me disait un jour à propos de Mère Térésa : « Quand on la regarde, quand on l’entend, on la sent tellement humaine qu’on a l’impression de voir Dieu à travers elle. » Je lui ai répondu : « Tu vois, pour nous chrétiens, Jésus est tellement humain que nous voyons Dieu à travers lui. »
Comment as-tu fait pour te lier aux habitants ?
Je vais beaucoup aux sépultures. On vient même m’inviter. Quand je vois une tente dressée dans une rue pour les funérailles, je vais présenter mes condoléances, même si je ne connais pas la famille. Les gens sont très touchés par cela. Pour les musulmans, participer au deuil est une obligation coranique.
Un jour je vais présenter mes condoléances dans une famille où une jeune femme était morte en couches, à cause d’une erreur médicale. Cela m’avait choqué. Le père était effondré. Deux ou trois ans après, ce monsieur me rencontre dans un magasin, où il se trouvait en compagnie d’un de mes amis. Il m’embrasse, et dit à mon ami, qui s’étonne qu’il me connaisse : « Il est venu prier avec nous, quand ma fille est morte. L’iman, lui, il n’est même pas venu ! »
Le dialogue interreligieux, c’est plus que des mots ?
J’ai un ami, Miloud, qui est atteint de la maladie de Parkinson. Elle s’est déclenchée pendant les années noires, lorsqu’il a été menacé de mort. Aujourd’hui, il ne peut plus parler. Je vais le voir chez lui, chaque vendredi. Je lui prends la main, il serre la mienne très fort et on se parle avec les yeux. C’est comme s’il déversait son angoisse. On est au-delà des différences culturelles et religieuses. Nous vivons une amitié spirituelle qui n’a même plus besoin de mots pour s’exprimer.
Propos recueillis par Dominique Lebon
© Texte publié par la revue des diocèses d’Algérie Pax et Concordia, n° 12, 2012, aux pp. 8-9